La lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick ne peut tre unilingue, a tranch jeudi la Cour du Banc de la Reine de cette province. Il s’agit donc d’un revers pour le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, qui avait nomm Brenda Murphy en 2019.
Selon la Cour, elle n’a pas les comptences linguistiques pour s’acquitter adquatement de ses tches.
Cette nomination porte atteinte aux droits linguistiques garantis aux No-Brunswickois par la Charte canadienne des droits et liberts, qui prvoit que « le franais et l’anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick », faisant d’elle la seule province officiellement bilingue du pays.
C’est la Socit de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) qui a contest devant les tribunaux la nomination de Mme Murphy, qui ne matrise pas le franais.
La SANB s’est rjouie du rsultat de ses dmarches judiciaires.
« Quand il est question de la dfense de la langue franaise, de nos droits en tant qu’Acadiens et francophones, les bonnes nouvelles n’arrivent pas souvent. Alors quand a passe, on les prend », s’est exclam en entrevue le prsident de la SANB, Alexandre Cdric Doucet.
Ce jugement est important pour l’avenir, dit-il, car il envoie « un message positif sur l’galit des communauts linguistiques officielles ».
La Cour a aussi rejet la thse du gouvernement selon laquelle la Charte ne requiert qu’un « bilinguisme institutionnel » du bureau du lieutenant-gouverneur, qui n’exige pas le bilinguisme du « titulaire de la charge ». Trop simpliste, tranche-t-elle.
Il n’y a qu’un seul lieutenant-gouverneur, qui est le chef d’tat de la province. Si les citoyens francophones sont incapables d’interagir avec lui ou elle de la mme manire que les anglophones, comment y a-t-il respect de la Charte et de l’galit linguistique qu’elle protge, demande la Cour.
Si un unilingue francophone tait nomm, les citoyens anglophones pourraient bien exprimer leur « dsarroi » qu’il ne puisse lire le discours du Trne en anglais ou interagir avec eux dans cette langue : « Pourtant, ces mmes ralits sont imposes aux No-Brunswickois francophones », souligne la Cour.
Ce jugement a-t-il un impact plus large, notamment sur les comptences linguistiques requises d’un gouverneur gnral ?
Les bonnes nouvelles n’arrivent pas souvent. Alors quand a passe, on les prend.
Selon Stphanie Chouinard, professeure de sciences politiques au Collge militaire royal, bien que le jugement ne s’applique pas directement cette situation, la question se pose. Des articles de la Charte prvoyant les obligations linguistiques sur lesquels la Cour a ici bas sa dcision ont des « dispositions miroir » qui s’appliquent au gouvernement du Canada, signale-t-elle. L’argument n’a toutefois pas t test devant les tribunaux.
Mais au-del du jugement de la Cour, des leons ont peut-tre t apprises du mcontentement de la population qui a suivi la nomination de Mme Murphy, ainsi que celle de la gouverneure gnrale Mary Simon, ajoute la professeure. On se rappelle que cet autre choix de Justin Trudeau avait t contest, car Mme Simon matrise l’anglais et l’inuktitut, mais pas le franais.
Quelle rparation ?
La SANB demandait aussi que le dcret de nomination soit invalid. La Cour refuse pour viter de crer du « chaos », dit-elle, car un tel jugement serait susceptible d’invalider toutes les lois que Mme Murphy a sanctionnes depuis 2019. « Un tel rsultat pourrait tre trs problmatique pour la province du Nouveau-Brunswick et ses citoyens. »
Considrant qu’elle a rendu l’avis sollicit et tranch que ce poste exige une personne bilingue, elle juge que la suite revient l’organe excutif, soit au gouvernement fdral, « pour qu’il puisse examiner les mesures qu’il conviendra de prendre ».
Selon M. Doucet, deux avenues s’ouvrent lui. Soit faire adopter le projet de loi prsent par le snateur qubcois Claude Carignan visant s’assurer qu’un lieutenant-gouverneur au Nouveau-Brunswick soit bilingue avant d’tre nomm, soit modifier son propre projet de loi C-13 qui modernise la Loi sur les langues officielles pour y inclure cette exigence.
Interrog ce sujet, le fdral a rpondu par la bouche de l’attache de presse du ministre de la Justice, David Lametti. « Nous prendrons le temps d’examiner la dcision et de rflchir aux prochaines tapes, mais nous restons dtermins protger et promouvoir la langue franaise partout au pays et favoriser la dualit linguistique », a fait savoir par courriel Chantalle Aubertin.
Ottawa peut aussi dcider de porter ce jugement en appel.